Energie, mobilité, rénovation des bâtiments, décarbonation de l’industrie… La transition écologique ne capte plus autant l’attention médiatique ou politique comme elle a pu le faire à certains moments. Néanmoins, elle reste une urgence silencieuse et toujours plus pressante.
Et puis une question reste trop souvent oubliée : la transition est-elle vraiment juste pour toutes et tous ? C’est une interrogation qui s’est posée au sein de la cellule environnement il y a quelques mois, lors de réflexions sur les liens entre transition, genre et climat.
Une transition à double vitesse ?
Nous savons que les crises, qu’elles soient économiques, sanitaires ou climatiques, frappent plus durement les plus vulnérables. En effet selon le GIEC, l’ONU, Oxfam et d’autres organisations, les populations les plus pauvres sont les plus exposées aux risques climatiques et à leurs conséquences. Elles sont également les moins capables de s’y adapter. Dans ces populations, on retrouve les femmes, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou de maladies chroniques, les travailleuses et travailleurs précaires.
D’après l’enquête sur les revenus et les conditions de vie (SILC) réalisée en 2024 par Statbel, 2,1 millions de Belges, soit 18,2 % de la population, vivent sous la menace de la pauvreté ou de l’exclusion sociale. En 2023, les chiffres étaient de 12,3%. Pour le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, ces chiffres sont alarmants : ils révèlent l’inefficacité ou l’inadéquation de certaines politiques publiques. Fort est de constater que ces politiques, qu’elles soient environnementales ou sociales, peuvent passer à côté de certaines réalités et manquer leurs cibles.
Le cas de la rénovation énergétique des bâtiments
Les autorités ont lancé des politiques de rénovation énergétique pour contrer la flambée des prix de l’énergie, soulager les factures et réagir face à l’urgence climatique. C’est une bonne chose. Mais qu’en est-il en réalité ?
Qui peut avancer les frais ?
Les rénovations coûtent cher ! Même avec des primes qui se font de plus en plus rares, il faut souvent préfinancer les travaux ou prendre un crédit. Pour les ménages aux revenus modestes ou instables, c’est hors d’atteinte.
Qui accède aux aides ?
Les dispositifs d’aide sont parfois fragmentés selon les Régions, complexes ou numériques. Les ménages précaires ou les personnes âgées passent souvent à côté, faute d’information ou de capacité à constituer un dossier.
Qui subit les coupures ?
Les locataires en passoire thermique paient plus cher pour moins de confort, sans pouvoir rénover eux-mêmes. Et si la facture est trop lourde, ce sont eux qui risquent les coupures de courant ou de gaz.
Quid des logements sociaux ?
Ils ne sont pas toujours prioritaires dans les plans de rénovation, alors qu’ils abritent les publics les plus fragiles. Parfois même, la rénovation entraîne même une hausse des loyers ou une expulsion temporaire, accentuant la précarité.
Ainsi, les politiques environnementales et sociales, même bien intentionnées, peuvent creuser les inégalités si elles ne sont pas pensées dans une logique de justice sociale.
Le contraste saute aux yeux… sans atteindre la rétine
En plus de cela, dans le monde du travail, les nouveaux métiers dits « verts » en plein essor, restent largement masculins (installateurs de panneaux solaires, techniciens en énergie, ouvriers du bâtiment engagés dans la rénovation énergétique, chauffagistes…). Selon les chiffres d’Agoria, la fédération de l’industrie technologique, il y aurait dans le secteur de la technologie en Belgique, 78% d’employés masculins contre 22% de femmes.
Femmes et numérique : une place encore à conquérir
Dans le secteur technologique, actuellement l’un des plus puissants moteurs de transformation de nos sociétés, les femmes demeurent dramatiquement sous-représentées. Selon les chiffres du Digital Decade Country Report paru en 2024 (chiffres 2023), elles n’occupent qu’environ 19,4 % des emplois dans le numérique en Europe. Le constat est encore plus alarmant dans certaines filières comme le développement logiciel, la cybersécurité ou l’intelligence artificielle. Ce déséquilibre alimente les inégalités qui existent déjà sur le marché du travail et freine l’égalité des chances.
A l’inverse, dans des secteurs tels que l’éducation et les soins de santé, les femmes sont surreprésentées. Pourtant, ces métiers, tout aussi essentiels dans une société en transition, restent sous-valorisés, précaires et mal rémunérés. Ils n’entrent que très rarement dans la définition officielle des « emplois de la transition » et sont pourtant en première ligne face aux effets concrets du dérèglement climatique.
Ne pas choisir entre climat et justice sociale
Ces constats posent un véritable défi : si elle n’est pas pensée de manière inclusive, la transition écologique risque de reproduire, voire d’accentuer les inégalités de genre. Or, une société durable n’est pas seulement une société qui réduit ses émissions de CO₂, mais c’est aussi une société qui respecte les droits sociaux, promeut l’égalité et valorise tous les métiers utiles. Il est donc urgent de remettre l’égalité au cœur de la transition écologique ; d’y intégrer une perspective de genre, aussi bien dans les politiques d’emploi que dans la formation. C’est un moyen pour garantir l’accès à tous et à toutes aux métiers d’avenir et un levier pour que personne ne soit laissé de côté.